La superposition, l’un des principes fondamentaux de la mécanique quantique, a alimenté bien des fictions telles que Dark ou Dark Matter, en passant par Mr. Nobody, Code Quantum, Everything Everywhere All At Once, ou encore Le Jardin aux sentiers qui bifurquent. Et pour cause, ils permettraient d’expliquer, avec quelques raccourcis hasardeux, l’existence spéculative de réalités alternatives, comme celles décrites par Hugh Everett.
Aussi, cet article vise à illustrer le principe de la superposition quantique, le plus fidèlement et simplement possible (ce qui constitue déjà un paradoxe) et d’en donner une analogie psychique. Je vais donc tenter de vous proposer une vision alternative à ce pauvre chat de Schrödinger et ensuite l’appliquer à vos pensées.
Une représentation de la superposition
Si deux états sont possibles, alors toute combinaison de ces états est un état licite.
Des événements à deux issues, tout autour de nous
Vous jouez à pile ou face. La pièce froide tournoie dans les airs et votre main tremblante l’intercepte. Si la pièce est classique, alors vous le sentez : elle repose sur pile ou face dans le creux votre paume. Si la pièce est quantique – ce qui serait concevable si elle était toute petite et que l’air enfermé dans votre main était porté à une température négative extrême – alors la pièce serait dans un état combiné de pile ET face.
Que signifie se trouver dans un état de pile ET face ?
Je vois deux manières poétiques de l’imaginer. Les deux sont très grossières sur le plan scientifique, mais traduisent tout de même l’idée à notre échelle.
Premier exercice de pensée : un état “entre” les deux états de base (au sens géométrique du terme).
Par exemple, la pièce se trouve sur la tranche ; elle présente donc ses deux faces, selon l’orientation de votre regard. Dans cette posture fragile, la moindre perturbation peut la faire tomber sur une face ou l’autre, dans des proportions équivalentes.
Digression technique : ici, je m’inspire de la “sphère de Bloch” qui est une représentation vectorielle d’un état quantique superposé. Si les états de base sont décrits par une flèche qui pointe à droite et une autre qui pointe à gauche, alors la superposition (vectorielle) se représente par une flèche qui pointe en bas ou en haut, selon le signe des coefficients que vous placerez devant les flèches droite/gauche.
Second exercice de pensée : une vibration qui fusionne les états, comme deux vagues qui se combinent.
Même après avoir refermé vos doigts, la pièce continue de tournoyer ; elle est si petite et si froide qu’elle échappe à la gravité et lévite au cœur de votre poing, sans toucher votre chair. Elle tournoie si vite et sans frottement que ses deux faces se brouillent et se mélangent visuellement, formant une représentation nouvelle. Un peu comme si, en faisant tournoyer une face jaune et une face cyan, la résultante visible était verte (cf. couleurs en peinture). Nos sens ne sont plus en mesure de percevoir les états individuels qui se confondent en un magma presque uniforme. Cet artefact visuel se retrouve dans bien des exemples du quotidien, comme les roues de vélo en mouvement si rapide que l’on ne distingue plus leurs rayons, allant parfois jusqu’à paraître immobile ou tournant à l’envers par effet stroboscopique.
Quand survient l’effondrement (aussi appelé réduction du paquet d’ondes)
La pièce demeure dans un état superposé de pile et face, mais dès que vous ouvrez la main, la lumière et la chaleur jaillissent et la pièce quantique vacille. Irrémédiablement perturbée, celle-ci s’effondre aussitôt sur pile ou face, comme son homologue classique. Tout est allé si vite. Vous n’avez pas eu le temps de la voir tomber. Vous êtes de retour dans le monde classique et plus rien ne peut vous faire revenir en arrière. Le sort en est jeté.
La superposition dans nos pensées : ou plutôt, la conjonction des émotions liées à l’incertitude
Ne pas savoir, c’est tout envisager.
La physique quantique s’applique-t-elle à nos cognitions et émotions ? Roger Penrose et Stuart Hameroff ont tenté – en vain – de le démontrer. D’aucuns pourraient simplifier l’analogie en disant que, tant que l’on ignore la réalité d’un fait, toutes les éventualités s’entrechoquent dans notre tête.
Supposons que vous attendez les résultats à un examen et que vous vous apprêtez à ouvrir le mail qui vous apportera la réponse. Votre esprit considère les deux états et vous les fait ressentir : vous percevez déjà les bribes de l’exultation (succès) et de la déception (échec), noyées dans un fugace courant d’angoisse et d’espoir. Tant que le “coup d’œil” n’est pas porté, tant que le message n’est pas lu, vos pensées demeurent en superposition d’un point de vue métaphorique. À l’image de cette pièce quantique encore en suspension dans votre paume, votre esprit semble vibrer entre deux faces émotionnelles en imaginant les deux univers possibles. Mais quand le mail s’ouvre et que le couperet tombe, tous vos sentiments convergent aussitôt vers celui lié à l’observation : allégresse ou peine. Voilà l’effondrement qui succède à l’indétermination.
Contrafactualité : quand ce qui n’existe pas modifie ce que l’on perçoit
Un événement possible laisse toujours une trace liée à son apparition… même lorsqu’il ne se réalise pas !
La beauté de l’incertitude cognitive tient dans notre capacité à nous projeter émotionnellement dans plusieurs réalités possibles. Même si un événement n’aura pas lieu, son éventualité perturbe nos émotions en amont. Nous les anticipons et les ressentons jusqu’à ce que survienne l’effondrement.
Dans le monde quantique, une particule peut aussi parcourir, en simultané, tous les chemins qui s’offrent à elle. Et son comportement varie en conséquence. Cette exploration se traduit, non pas par un déplacement réel, mais par la propagation de son onde de probabilité. Louis de Broglie a tenté de décrire cette propriété au travers de sa théorie controversée de l’“onde pilote”. Celle-ci emprunte tous les itinéraires potentiels qui lui sont accessibles en se scindant, comme une vague qui se divise en plusieurs vaguelettes au contact d’un récif.
Tant qu’on ne les perturbe pas, tant qu’on ne les observe pas, ces vaguelettes de probabilité peuvent explorer leur environnement et rencontrer d’éventuels obstacles, qu’elles “percutent” virtuellement (sans les toucher !). Puis, au terme de leur parcours, au moment de reconstituer la vague initiale (la seule que l’on considère in fine), elles se superposent en se renforçant ou s’annihilant, selon que leurs oscillations cohérentes sont en phase ou en opposition de phase. C’est le phénomène d’interférence ; et celui-ci s’applique autant aux vagues réelles qu’aux ondes de probabilité.
Ainsi, un observateur pourra retranscrire toutes les “réalités” que ces vaguelettes auront effleurées, selon la manière dont ces dernières termineront leurs voyages (renforcées ou détruites par interférence des possibles).
Attention, les vagues décrites dans cet exemple ont un comportement quantique. Dans notre quotidien, les vagues peuvent se dédoubler et se recombiner, et cela n’a rien de virtuel, car ce sont des ondes “classiques”. La dualité onde-corpuscule et le concept de fonction d’onde sont les principes qui permettent aux objets quantiques d’emprunter tous les chemins possibles (tant qu’on ne les observe pas).
Ouvrir la porte aux univers parallèles
Pourquoi choisir quand tout peut perdurer ?
Une spéculation à fort potentiel ! Plutôt que s’effondrer sur un état au hasard, la pièce quantique que vous avez jetée en l’air aurait provoqué un dédoublement d’univers. Dans une réalité, elle serait tombée sur pile, et dans une autre, elle serait tombée sur face. De même, une vague quantique qui se fracasse sur un récif engendrerait autant de mondes parallèles que de recombinaisons mesurables à l’issue du voyage. Une superposition d’états traduirait donc une ramification d’univers où chaque état observable évolue librement.
Une question demeure : ces réalités continuent-elles de diverger ? Ou finissent-elles par s’effondrer sur l’une d’entre elles, sur celle que les probabilités auront élevée au rang de vérité observable par tous ?
Dans un prochain article, je reviendrai sur cette hypothèse vertigineuse : celle d’un monde, résultant de nos choix, qui côtoie, sans jamais les croiser, les univers produits par nos renoncements.